Téléportation : c’est parti !

Par Stéphane Durand

Publié en complément du carnet insolite

Cyber Sciences

Des chercheurs ont récemment réussi à téléporter l’état quantique d’une particule. À quand la téléportation des humains ?

Pour une première, c’est toute une première ! Deux équipes, l’une autrichienne et l’autre italienne, viennent de réaliser la première téléportation de l’histoire. Quoique de manière très différente, chacune a réussi à téléporter ce qu’on appelle l’état quantique d’une particule. Si, pour l’instant, l’expérience n’a été réalisée que sur une toute petite distance (un mètre !), elle est en principe possible à plus grande échelle.

L’idée de la téléportation a été popularisée dans les années 60 par la fameuse série télévisée Star Trek. Mais ce n’est qu’en 1993 qu’une équipe internationale de chercheurs (comprenant deux Montréalais, Gilles Brassard et Claude Crépeau) a montré comment la théorie quantique (la théorie du monde atomique) permettait l’existence d’un tel phénomène. La confiance en la théorie quantique était telle – c’est la théorie physique la plus précise et la plus efficace jamais élaborée à ce jour – qu’il ne faisait aucun doute que la téléportation était expérimentalement possible.

C’est maintenant chose faite : un état quantique d’une particule a disparu à un endroit et est réapparu à un autre.

Contrairement à ce qu’on a pu voir dans Star Trek, la téléportation d’un objet d’un point A à un point B n’est pas le déplacement physique de l’objet de A vers B sous forme de faisceau d’atomes. C’est plutôt la « dématérialisation » de l’objet en A, l’envoi d’un signal de A vers B contenant les « plans » de l’objet, puis la « reconstruction » de l’objet au point B à partir d’atomes qui s’y trouvent déjà. Par conséquent, aucune matière ne voyage, seulement de l’information. L’objet en B n’est pas le même que l’objet en A (il n’est pas fait des mêmes atomes), mais plutôt une copie parfaite. Autre différence avec la téléportation à la Star Trek : on doit préparer le lieu d’arrivée, c’est-à-dire installer des particules spéciales qui serviront de réceptacles aux entités téléportées.

Mais pourquoi envoyer seulement le plan et pas l’objet lui-même ? Notamment pour une question d’énergie. Ainsi, pour accélérer une masse comparable à celle d’un humain à 99 % de la vitesse de la lumière, il faudrait fournir une énergie égale à celle consommée en un mois sur toute la Terre ! Par contre, on peut facilement envoyer un message à la vitesse de la lumière au moyen d’ondes radio, ce qui ne requiert que très peu d’énergie.

Une question se pose alors : si on n’envoie que le plan de l’objet, n’est-il pas possible d’en faire plusieurs copies ? Et de réaliser du véritable clonage ? Non, car un tel raisonnement s’appuie sur une vision erronée de l’Univers. En effet, un objet n’est pas construit comme un jeu de Lego. Les atomes et les particules qui le composent ne sont pas l’équivalent de petites briques manipulables à loisir puisqu’on ne peut pas observer une particule ou un atome (mesurer son état interne par exemple, c’est-à-dire son état quantique) sans le perturber. Ainsi, ce que les instruments enregistrent ne nous renseigne pas sur l’état original de la particule ou de l’atome, mais bien sur son état après l’observation, c’est-à-dire sur son état perturbé par la mesure.

Alors, s’il est impossible de lire fidèlement la structure atomique d’un objet (le fameux plan), comment peut-on effectuer sa téléportation ? En transmettant le plan sans le lire ! C’est ce que les chercheurs ont découvert en 1993 et qui empêche tout clonage. D’une part, pour extraire le plan, il faut absolument détruire l’original. D’autre part, l’utilisation du plan pour réaliser une copie le détruit automatiquement : il n’existe donc plus de plan pour faire une deuxième copie !

Cette téléportation repose sur un effet quantique absolument fascinant qui, à première vue, semble violer une des lois les plus fermement établies de la physique à savoir qu’aucune forme de matière ou d’énergie ne peut dépasser la vitesse de la lumière. Ainsi, ce phénomène, appelé effet EPR, permet que, dans certaines conditions, une influence mystérieuse de nature typiquement quantique puisse se propager instantanément d’un point à un autre. Comment cela est-il possible ? Tout simplement parce que cette influence n’est ni matérielle, ni énergétique !

Un exemple ? Imaginons deux boules de billard qui se frappent puis s’éloignent l’une de l’autre. Après l’impact, les deux boules sont complètement indépendantes : une action sur une des boules (l’arrêter avec une main, par exemple) n’a aucune influence sur l’autre. Mais tel n’est pas le cas dans le monde microscopique. Dans certaines circonstances, après avoir interagi et s’être éloignées l’une de l’autre, deux particules peuvent rester unies par un lien mystérieux, même si elles sont à des milliards de kilomètres.

Rappelez-vous aussi que, dans le monde quantique, une mesure sur une particule perturbe son état. Lorsque deux particules sont unies par ce lien mystérieux, une mesure sur une particule perturbe aussi l’autre particule ! Et cette influence se propage instantanément, quelle que soit la distance entre les deux. On dit alors que les deux particules forment une paire EPR.

Ironie du sort, cette influence prédite par la théorie quantique a été mise à jour par Einstein (dans un célèbre article publié avec Podolsky et Rosen en 1935, d’où le nom d’effet EPR) dans le but de démontrer le non-sens de cette théorie alors naissante. En effet, Einstein n’acceptait pas les fondements de la théorie quantique (son caractère aléatoire, en particulier). Par cet article, il voulait dénoncer son incohérence en montrant qu’elle impliquait l’existence d’influence se propageant plus vite que la lumière – ce qui était tout à fait impossible selon lui. Malheureusement, Einstein est mort bien avant que les premières expériences démontrant l’existence de ce phénomène aient été réalisées.

Même si elle utilise un effet EPR, la téléportation est quand même assujettie à la vitesse de la lumière. Pourquoi ? Parce qu’elle est effectuée en deux étapes : une première partie de l’information est envoyée par voie typiquement quantique et instantanée (effet EPR), mais la deuxième partie du « plan » doit être acheminée de façon plus traditionnelle (par ondes radio, par exemple). Comme la téléportation n’est complétée qu’après la deuxième étape, elle ne prend donc pas effet instantanément (voir schéma).

Pour le moment, on ne sait que téléporter l’état quantique d’une particule et possiblement d’un atome. On est donc loin de téléporter un objet macroscopique et encore plus un humain ! Néanmoins, la simple téléportation d’états quantiques de particules pourrait avoir des applications intéressantes, qu’il s’agisse de résoudre certains problèmes des ordinateurs quantiques (voir l’encadré ci-contre) ou d’envoyer des messages secrets sans craindre qu’ils ne soient interceptés.


Stéphane Durand, un physicien théoricien, est chercheur au Centre de recherches mathématiques de l’Université de Montréal et professeur de physique au Cégep Édouard-Montpetit.


Pour en savoir plus

https://stephane-durand.ca/
Stéphane Durand y explique en détail le principe de la téléportation.
www.cs.mcgill.ca/~crepeau/tele.html (Lien brisé)
La page Web du chercheur montréalais Claude Crépeau.